Ma langue a aussi goûté en abondance
Tant et tant de délicieuses saveurs.
Ma tête était ceinte
De très nombreuses guirlandes, belles et bien confectionnées.
Mes yeux, que rien ne protège,
Se sont laissés abuser par la beauté.
Le regard est responsable des fautes
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Que j'ai commises par la vue.
C'est pour mes oreilles que le diamant
A égratigné et entaillé des mains.
J'avais les bras parés de bracelets,
Des bagues aux doigts,
Des rangées de perles autour du cou,
Même mes jambes étaient magnifiquement ornées,
Avec des chaînettes d'or destinées aux chevilles.
Des gemmes et des lanières dorées
Étaient placés sur mon corps.
Pour ces immenses richesses dont je me délectais,
Mon esprit conçu un grand attachement.
Après avoir touché des choses d'une extrême douceur,
Un désir ardent les maintenait à mes côtés.
Sur divers tapis et parures de lit,
J'étendais mon corps.
Après l'avoir baigné dans des eaux parfumées,
Je l'embaumais de senteurs raffinées, camphre ou santal,
Et j'imprégnais l'air de ces divines fragrances.
J'embellissais mon teint,
Je m'humectais de musc.
Après avoir appliqué ces huiles délicates
Parfumées aux fleurs, jasmin et champaka,
J'enfilais des vêtements en soie blanche de Bénarès.
À peine descendu du dos de l'éléphant,
Je montais sur celui du cheval.
Je me prenais pour un roi,
Et les gens se hâtaient devant moi.
Je plaisantais avec les servantes
Expertes dans le chant et la danse.
Je perçais de flèches et tuais quantité d'animaux
Qui n'avaient fait aucun mal.
Je ne savais rien des vies futures
Et commettais ces actions nuisibles.
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Comme j'ai mangé la chair d'autrui,
Cette implacable souffrance s'abattra sur moi.
Mais je ne savais pas ce qu'était la mort.
Mon esprit immature
Me poussait à entretenir mon corps.
Aujourd'hui, alors que la mort est proche
Je n'ai vraiment aucun protecteur.
Vous tous, amis et parents,
Pourquoi me dévisagez-vous ?
Pourquoi portez-vous ces affreux vêtements de deuil ?
Pourquoi pleurez-vous ? Pourquoi ces lamentations ?
Pourquoi vos cheveux défaits sont-ils si ébouriffés ?
Pourquoi prenez-vous votre sang avec tant de chagrin ?
Pourquoi mettez-vous des cendres sur votre tête ?
Pourquoi vous frappez-vous la poitrine ?
De mon vivant, j'aurais dû m'abstenir des mauvaises actions.
Pourquoi êtes-vous si angoissés ?
Mon corps nourrira les chacals, les chiens,
Les corbeaux, les oiseaux.
À quoi bon le maintenir en vie !
On renaît constamment
Possédé par le serpent de la mort.
Le médicament qui libère de cette peur
Est vraiment celui qu'il faut prendre.
Celui que m'a donné le médecin
Ne me servira à rien.
À l'heure de ma mort, qu'on me donne
Le remède de la Doctrine,
Qui délivre du serpent des passions.
Ne me donnez pas de viande,
Qui pourtant a nourri ce corps,
Car il va périr, inévitablement.
Puisqu'il engendre la souffrance,
Pourquoi assumer cet amas de fautes ?
Malgré tous les soins qu'on lui a prodigués,
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Ce corps se livre à des activités scélérates.
Mon fils, ma fille, pour quelle raison
Me fixez-vous avec de tels yeux ?
Protégez-moi de cette maladie !
Mon fils, ma fille,
Pourquoi pleurez-vous sans raison ?
Ne faites rien de mal pour moi.
Afin de vous maintenir en vie.
J'ai pillé les richesses d'autrui.
Maintenant l'heure de ma mort est venue,
Les espoirs sont-ils brisés ? Que faire ?
La naissance et les mondes inférieurs me font peur.
La mort aussi m'opprime et m'écrase.
Avec acuité, je ressens le toucher,
Les sensations, les consciences et les formations mentales.
Le désir conduit les êtres puérils à errer
Et à subir des conséquences intolérables.
Naître dans de mauvaises familles
Est aussi une source de souffrance.
Me souciant peu des mérites,
J'ai fait souffrir les autres.
Ma générosité, mon éthique se sont anéanties
Et je me suis détourné de la Doctrine.
Comme je ne savais rien de la naissance,
Le serpent des passions m'a fourvoyé.
Par ignorance, les être immatures
Errent là où il n'y a pas de salut.
Ne comprenant pas ce qu'est la libération,
Ils se fourvoient et commettent des actes nuisibles.
À cause des afflictions qui perturbent constamment leur esprit,
Les êtres immatures divaguent.
Dans le corps, entravé par toutes sortes de chaînes,
Le feu s'enflamme et le consume.
Dans des lieux où aucun bonheur ne règne,
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Trompé, le corps s'égare complètement.
Alors, les jeunes précédents, ceux qui étaient nés en premier, joignirent
respectueusement les mains devant le Vainqueur Transcendant et déclarèrent :
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- Vainqueur Transcendant, nous ne désirons plus voir encore la naissance
et la mort.
- Souhaitez-vous alors obtenir le pouvoir de la persévérance enthousiaste ?
demanda le Vainqueur Transcendant.
- Puissions-nous voir Celui-ainsi-allé en personne, répondirent-ils.
Puissions-nous alors entendre la Doctrine que nous souhaitions entendre et qui
est si plaisante. Puissions-nous voir la Sangha, l'assemblée des auditeurs de
Celui-ainsi-allé. Puissions-nous voir les bodhisattvas, dotés d'une grande force et
de pouvoirs surnaturels. Vainqueur Transcendant, voilà les choses que nous
souhaitons voir. Nous ne désirons plus voir la naissance et la mort.
Alors, par des pouvoirs surnaturels, le bodhisattva, le grand être
Bhaishajya-séna, et cinq cents autres bodhisattvas se levèrent simultanément de
leur siège et, par des pouvoirs surnaturels, tous s'élevèrent dans le ciel. Assis
jambes croisées, ils entrèrent en absorption méditative. De leurs corps
apparurent des lions, apparurent des tigres, apparurent des serpents, apparurent
des éléphants. Ils manifestèrent de très nombreux pouvoirs surnaturels. Ils
s'assirent jambes croisées au sommet de montagnes, ils s'élevèrent aussi à une
hauteur de vingt yojanas, ils firent aussi descendre dix milliards de lunes et de
soleils.
Alors ces jeunes demandèrent au Vainqueur Transcendant :
- Vainqueur Transcendant, quelle est la cause, quelles sont les conditions
qui ont fait apparaître ces rayons de lumière et ce déploiement de pouvoirs
surnaturels dans le monde ?
- Enfants de la lignée, répondit le Vainqueur Transcendant, voyez
apparaître la lune et le soleil.
- Vainqueur Transcendant, nous les voyons. Bienheureux, nous les
voyons.
Ces rayons lumineux, ces pouvoirs surnaturels, ces transformations
magiques émanent des corps des bodhisattvas. Après les avoir déployés, pour le
bien de nombreux êtres, pour le bonheur de nombreux êtres, par compassion
pour le monde, visant le bien, le bonheur des grandes assemblées des êtres, des
dieux et des hommes, ils enseignent la Doctrine. Après avoir révélé ici corps
humains, pouvoirs et persévérance enthousiaste, ils manifestent tous ces
pouvoirs.
- Vainqueur Transcendant, veuillez enseigner la Doctrine afin que brillent
ces rayons de lumière.
Le Vainqueur Transcendant s'adressa alors au bodhisattva, le grand être
Bhaishajya-séna :
- Bhaishajya-séna, as-tu vu l'univers de trois mille milliards de mondes
trembler de six façons différentes ?
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- Oui, Vainqueur Transcendant, je l'ai vu ! Oui, Bienheureux, je l'ai vu !
Alors qu'il se disait : "Et si j'interrogeai Celui-ainsi-allé sur cette question ? "»,
le Vainqueur Transcendant lui dit :
- Bhaishajya-séna, demande ce qu'il te plaît, j'exaucerai tes souhaits en
répondant à tes questions. Bhaishajya-séna, j'expliquerai, j'analyserai.
Bhaishajya-séna, je montrerai tout ce qui appartient au passé, au présent et au
futur.
- Vainqueur Transcendant, enseignez afin de dissiper mes doutes.
Vainqueur Transcendant, je vois Celui-ainsi-allé entouré de quatre-vingt-quatre
mille enfants de dévas, de quatre-vingt-quatre milliards de bodhisattvas, de
douze milliards de rois esprits serpents, de dix-huit milliards de yakshas et de
vingt-cinq milliards d'esprits avides et de sorcières bariolées.
Le Vainqueur Transcendant répondit :
- Bhaishajya-séna, il ne fait aucun doute que ces êtres se sont réunis ici
pour entendre la Doctrine. Bhaishajya-séna, aujourd'hui, ils transcenderont le
cycle des existences. Souhaitant faire le bien de tous les êtres, aujourd'hui
même, ils gagneront les dix terres. Après avoir été établis dans les dix terres, ils
accéderont à la sphère de l'au-delà des peines.
Pour se libérer du vieillissement et de la mort,
Ayant accompli des actes positifs sources de bonheur
Et défait le noeud des perturbations,
Ils accompliront la Doctrine de l'Eveillé.
- Vainqueur Transcendant, de nombreux lieux sont apparus selon le
karma des êtres. Pourquoi restent-ils autour du Vainqueur Transcendant ?
- Bhaishajya-séna, écoute :
Comment les êtres ignorants, qui ne savent pas,
Pourraient-ils atteindre la libération ?
Aujourd'hui, ces nombreux jeunes
Obtiendront des dharanis.
Afin d'accéder aux dix terres,
Ils connaîtront pleinement toutes les Doctrines.
Ils gagneront les dix terres
Et accompliront les activités d'un éveillé.
Ils mettront en mouvement la roue de la Doctrine
Et déverseront une pluie de Dharma.
Ainsi, pour les êtres qui se sont réunis
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Mon enseignement sera une joie.
Dieux, esprits serpents, fantômes affamés,
Dieux jaloux, terriblement irrités,
Seront établis dans les dix terres.
Ils feront retentir le son de la Doctrine,
Frapperont le tambour du Dharma
Et souffleront dans la conque de l'enseignement.
Ces jeunes aussi posséderont
Le pouvoir de la persévérance enthousiaste.
Comme Celui-ainsi-allé obtint la Doctrine,
Aujourd'hui, ils l'obtiendront aussi.
Puis, cinq mille de ces jeunes se levèrent de leur siège, joignirent
respectueusement les mains devant le Vainqueur Transcendant et s'adressèrent
à lui :
- Puisque, dans le samsara,
L'esclavage n'a pas de fin,
Vainqueur Transcendant, ce corps est un lourd fardeau
Terrifiant et insoutenable.
Nous ne trouvons pas de voie,
Nous ne voyons pas de voie.
Protecteur, puisque nous sommes aveugles,
Nous vous implorons de nous guider.
Héros ! Nous vous supplions.
Guide ! Expliquez la Doctrine.
Nous sommes nés avec si peu de sagesse
Et ne trouvons aucun réconfort.
Enseignez-nous la Doctrine !
Délivrez-nous de ces intolérables souffrances.
Où que nous naissions,
Puissions-nous y trouver l'Eveillé.
Puis, le bodhisattva, le grand être Bhaishajya-séna se rendit sur les lieux où
se trouvaient les jeunes et s'adressa à eux :
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- Mangez cette nourriture !
Savourez ce merveilleux breuvage !
Puis, quand votre peur aura disparu,
Écoutez la Doctrine sans crainte.
Ils répondirent :
- Noble aîné, qui êtes-vous ?
Nous ne vous connaissons pas.
Nous voyons en vous la beauté,
Un corps serein et une grande renommée.
Comme un être qui embellit le monde,
Vous êtes libérés des grandes peurs du monde des esprits avides,
Des enfers et des animaux,
Toutes vos fautes se sont dissipées.
Vous tenez dans la main un réceptacle
Composé des sept substances précieuses.
Sur le corps, vous portez un filament de joyaux.
Nous voyons la masse de lumière qui vous pare.
Aux douces paroles que vous avez prononcées,
Nous sommes incapables de répondre.
Nous n'avons pas besoin de nourritures
Ni de boissons succulentes.
La nourriture devient excrément
Et les boissons, urine.
Les sucs se transforment en sang
Et le sang, en chair.
Toute préparation alléchante de nourriture et de boisson
Ne nous est donc pas nécessaire.
Soieries, lainages ou fins vêtements
Sont également vains.
Bracelets en or ne nous servent à rien,
Colliers de perles sont inutiles.
Nos doigts n'ont pas besoin de bagues.
Toutes ces choses sont de nature éphémère.
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Nous voulons une vie qui ne nous mène pas
Vers de mauvaises migrations.
Nous voulons obtenir le bonheur des dieux
Et dispenser la Doctrine,
Il nous faut des amis spirituels ;
Non pas être monarques universels.
Quittant son beau continent,
Le monarque universel doit, lui aussi, mourir.
Ses fils ne l'accompagneront pas,
Ni ses épouses, ni ses filles.
Les sept substances précieuses seront abandonnées
Et ne le suivront pas.
Les nombreuses personnes qu'il a rassemblées
Ne partiront pas à sa suite.
Personne ne le précédera ;
Et plus tard non plus.
Il fut roi pendant une seule vie
Et l'impermanence l'entraîne.
Ayant commis de nombreux actes nuisibles,
Il chute dans l'Enfer des Lamentations.
Après avoir été entouré des quatre côtés
Par les sept joyaux et des pouvoirs extraordinaires,
Lorsque l'Enfer des Lamentations aura mûri,
Où seront ces pouvoirs miraculeux ?
Puisqu'il n'a plus de place sur Terre,
Une fois mort, il ne peut manifester ces pouvoirs.
Aîné, écoutez-nous,
Allez là où réside Celui-ainsi-allé.
Nous désirons sincèrement le voir,
Comme un père ou une mère.
Nous n'avons ni mère,
Ni père, ni frère.
Celui-ainsi-allé est le maître du monde,
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Il est le père. Il est la mère,
Il est le soleil et la lune.
Il montre la voie du bonheur.
Il libère du samsara,
Pour que nous n'ayons plus à y renaître.
Il est le radeau qui délivre du fleuve,
Le fleuve terrifiant des passions.
Il libère totalement les êtres
Pour qu'ils ne reviennent jamais.
Il enseigne la sainte Doctrine
Et montre l'éveil sublime.
Nous n'avons que faire de nourriture
Et ne voulons pas d'un résultat mondain.
Ceux qui ont peur des royaumes infernaux
Ne devraient pas se diriger vers le monde des dieux.
La vie des êtres humains est une vie heureuse
Où apparaît l'Omniscient.
À cause des mauvaises actions commises par soi-même,
La vie est courte et l'on erre.
Ils ne savent pas ce qu'est la mort,
Ils ne connaissent que leurs désirs de jouissances mondaines.
Trompés par la naissance et par la mort,
Ils sont sans peur, les ignorants.
Ceux que l'impermanence abuse,
Ne connaissent pas la subtile Doctrine,
N'accomplissent aucune tâche vertueuse,
Ne connaissent pas la sphère de la sérénité.
Sans regret face à la mort,
Ils renaissent sans cesse
Et endurent de longues souffrances.
Continuellement frappés à coups de bâton.
Pour avoir volé à autrui
Ils seront ligotés et tués.
Contraints par le mal qu'ils ont fait,
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Ils seront liés par les cinq liens.
Leurs espoirs brisés,
Ils seront tiraillés de douleurs.
Au moment où la conscience cessera,
Leurs lamentations seront poignantes.
« Qui me protégera ?
J'offrirai toutes mes possessions,
Or, argent et cristaux.
Je deviendrai serviteur
Et j'agirai comme tel,
Faisant toutes les corvées ; quelles qu'elles soient."
Nous n'avons que faire des possessions mondaines.
Peu m'importent richesses et grains.
Nous ne voulons pas de ce corps.
On ne se libère pas en commettant des fautes.
Aîné, puisqu'il en est ainsi,
Nous ne voulons pas de nourriture,
Les rois qui savourent des mets délicieux
Devront aussi mourir.
Les fils des dieux qui boivent de savoureuses boissons
Devront aussi mourir.
Nourritures et des boissons aux goûts variés
Préparées avec art
Sont placées devant le roi
Pour que celui-ci les touche de sa langue.
Attachés au goût, les rois
Commettent des fautes qui ne sont pas mineures.
Les saveurs auxquels ils s'attachent
Sont éphémères et sans substance.
Nous n'avons que faire de ces aliments,
Nous n'avons que faire de ces boissons.
Ce que nous voulons, c'est la Doctrine
Qui nous délivrera de la souffrance.
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Libérés des liens du désir,
Libérés des liens des passions.
Libéré de tous les liens,
En l'Eveillé, nous prenons refuge.
En ce grand sage, protecteur du monde,
Nous voulons prendre refuge.
Nous souhaiterions aussi rendre hommage
A celui que les êtres ont plaisir à voir.
Puisque nous ignorons votre nom,
Daignez nous dire votre nom illustre.
Bhaishajya-séna répondit :
- Vous et tous les êtres
Souhaitez entendre ce nom.
Celui-ainsi-allé est entouré
De milliards de jeunes.
Ils déclarèrent :
- Disciple de l'Eveillé,
Votre nom est profond et renommé.
Tous les êtres pareillement,
Souhaiteraient entendre votre nom.
Il répondit :
- Mon nom est Bhaishajya-séna
Et je suis le remède des êtres,
Le meilleur des remèdes,
Celui que je vous exposerai,
Apaise tous les maux
Qui affectent les êtres.
La maladie de l'attachement est une grande maladie
Effroyable qui ravage le monde.
La maladie de l'ignorance est une grande maladie
Féroce qui égare les êtres sans jugement.